William Kotzwinkle, Le nageur dans la mer secrète

Le nageur dans la mer secrète, de William Kotzwinkle, éditions Actes Sud. Traduction : Jean-Paul Gratias

Puis il se vit courir avec son fils, à travers champs, bondissant par-dessus les vieilles barrières délabrées. Ils descendirent vers le torrent, y plongèrent, puis ils dansèrent sur l’eau, coururent jusqu’aux arbres, et grimpèrent plus haut que la nappe de brume.

Une maison loin de tout, dans la forêt. Au milieu de la nuit, Diane réveille son compagnon, Johnny Laski. C’est le moment, le bébé est en chemin. Pendant que Diane rassemble ses affaires, Laski fait chauffer la vieille camionnette. Le couple se met en route pour la maternité, à travers la forêt du Maine. Cinquante miles à parcourir sur une route glacée. Malgré la distance et les conditions hivernales, ils arrivent à temps. Mais l’accouchement est difficile, l’enfant se présente par le siège. Quand la sage-femme se décide à réveiller le médecin, il est trop tard. Le bébé est mort. C’est là tout le simple drame que ce livre raconte, sur cent pages à peine, un drame qui n’a hélas rien que de très banal. Pourquoi ce petit livre nous touche-t-il autant ?

D’abord, c’est le livre d’un homme, et sans doute le lirez-vous différemment selon que vous êtes vous-même un homme ou une femme. C’est le père de l’enfant à naître que nous suivons pendant le travail immémorial de la mise au monde et c’est avec lui que nous lui creuserons une tombe sur la falaise qui domine la rivière. Les questions surgissent dans son esprit pendant le travail d’enfantement et pendant son travail sur le bois du petit cercueil. Ce sont les questions fondamentales, le grand « pourquoi ? » devant le premier regard d’un nouveau-né ou la disparition d’un être aimé. Est-ce parce que Laski est un artiste qu’il s’interroge ainsi, face à cet événement à la fois si quotidien et si extraordinaire ? Ou est-ce que tout homme digne de ce nom se pose un jour ces questions ? Malgré les changements de mentalités, malgré tous ses efforts, quand il accepte de les faire, l’homme se trouve toujours aussi démuni et inutile face à la naissance de son enfant. Face à son impuissance à participer à ce mystère, il ne lui reste qu’à s’assurer de la chaleur du nid. Les choses ont-elles vraiment changé depuis la grotte primordiale ? Quand l’enfant meurt, l’homme cherche encore refuge dans le simple travail de construire une caisse et de creuser la terre.

Kotzwinkle sait assurément raconter une histoire. Sans effets superflus, avec pudeur, dans un style d’une grande simplicité, il nous fait entrer dans la pensée de Laski. Nous vivons le drame à ses côtés, minute par minute. Le réveil en pleine nuit, le mélange de peur et de confiance, les efforts pour garder son sang-froid, la camionnette qui démarre, mais pas du premier coup, à qui on parle pour l’amadouer, les cahots de la route, la tentation d’appuyer sur l’accélérateur malgré le verglas. Puis, quand le drame est accompli, le retour dans la maison vide, le cercueil qu’il faut fabriquer, et – trouvaille magnifique – la fierté que Laski ne peut s’empêcher, malgré ses efforts, de ressentir devant l’ouvrage bien fait. Nous partageons avec lui l’amour qu’il porte à sa femme, l’impression de n’avoir pas encore avant ce jour commencé à l’aimer vraiment, et celui qu’il voue à son fils qui sans même avoir vécu rejoint magnifiquement, dans le rêve de son père, la nature sauvage.

 

William Kotzwinkle est né en 1938, en Pennsylvanie. Il a écrit une quarantaine de livres dans tous les genres possibles. Son plus grand succès en France est la « novellisation » d’E.T. l’extra-terrestre (ce qui prouve que rien n’est jamais joué.)

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