Nîmes, hiver 1950

1950 hiver

On croisera longtemps sur les trottoirs des villes ces photographes qui vous cadraient à la volée et vous tendaient un ticket.  Ils avaient la science de capter et de rendre l’énergie de la marche. De fixer ces moments de rue éphémères qu’on trouve dans tous les vieux albums. Le soir, vous alliez ou non récupérer le cliché à la boutique. Les images non réclamées partaient à la poubelle. J’imagine tous ces visages, passés un instant dans la lumière, captés dans l’instantané, puis retombés dans le néant. Aujourd’hui, par milliards, nos images  s’accumulent dans un nuage immatériel, invisible et terriblement vulnérable.

C’est encore un de ces métiers de la rue qui ont disparu. Le dernier que j’ai vu officiait sur le Cours Mirabeau avec un polaroid. Il faisait mine d’appuyer sur le déclencheur au passage des touristes mais c’était désormais du chiqué.

Cette image est la première où on les voit ensemble. Sur leur rencontre, je ne sais rien. Mais, je sais, et eux l’ignorent encore, que dans quelques mois il partira pour l’Indochine. Sur son visage à elle, qui prend le pouvoir sur l’image, c’est un sourire de calme triomphe que je vois. Elle est au centre, elle rayonne, et l’amie venue en chaperon ne s’y trompe pas, qui la couve des yeux. Avant cette rencontre, il y avait un autre jeune homme, d’une famille amie, qui l’aimait et la réclamait pour femme depuis qu’elle était sortie de l’enfance. Les choses étaient plus ou moins convenues entre les deux tribus. Elle s’y serait résignée, par habitude d’obéissance. Un jour, une vie plus tard, je la ramènerais au jardin de la Fontaine, à Nîmes. Pour la première fois elle me dirait cette histoire. La dernière phrase serait, et soixante ans après, il y aurait encore quelque chose de ce calme triomphe : « Et puis, ton père est arrivé ».

 

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