Image : A Bigger splash de David Hockney
Un dimanche d’août, ici, c’est deux fois dimanche. Celui-là coulait goutte à goutte sous un ciel blanc qui mangeait les ombres. Sous le couvercle des platanes l’air collait comme du goudron fondu. La fontaine de la place ne délivrait plus qu’un fil d’eau tiède qui tombait sans bruit dans la vasque pleine de mousse et de guêpes noyées.
Je transpirais seul sur le banc et il s’en fallait de trois bonnes heures avant que la fournaise se calme et que quelqu’un songe à bouger de devant la télé. C’était ça qui m’avait chassé de chez moi, la touffeur de ma chambre sous le toit et l’ennui implacable du programme dominical devant lequel mes parents finissaient de s’abrutir.
Finalement, c’est Max qui est venu me rejoindre, et c’était à peine mieux que personne. Max avec sa figure de rat, ses incisives comme des pelles dont l’une, tuée d’une pierre quand il avait douze ans, est restée noire depuis. Sa marque de fabrique. Il s’est assis près de moi, trop près bien sûr. Heureusement il avait des clopes.
— Qu’est-ce que tu fous ?
— Rien.
— On va au lac ?
— T’as une bagnole ?
— On peut faire du stop.
— Ha-ha.
— T’y es pas allé hier soir ? Y avait le bal au camping. J’ai invité une petite blonde. Putain, tu aurais vu ses nichons ! Une Hollandaise !
— Tu te l’es faite ?
Max a hésité mais il faisait trop chaud même pour mentir.
— J’ai pas pu, y avait ses parents qui mataient.
— Ses parents ? Maxime, t’es trop con.
Là il n’a rien dit mais je savais qu’il déteste qu’on l’appelle Maxime. Il a réfléchi un moment pendant qu’on fumait. Ses Peter avaient le goût du bitume surchauffé.
— Et si on allait se baquer dans la piscine des Allemands ?
— Et s’ils s’amènent ?
— Ça risque rien, ils sont repartis chez eux fin juillet. Je les ai vus. T’as la trouille ?
Bien sûr j’avais la trouille mais je ne pouvais quand même pas l’avouer à Maxime. Aussi on a escaladé les ruelles où le macadam collait à nos semelles, jusqu’à la grande maison de maître qui domine le village et qu’un couple de riches Allemands avait restaurée à grands coups de deutsche marks.
Nous savions tous depuis notre enfance franchir le mur qui fermait le jardin. Aussitôt dedans, on s’est débarrassé de nos fringues, Max gardant à mon grand soulagement son slip kangourou, et on a sauté dans l’eau tiède. On a barboté mollement. Le dimanche nous rattrapait. Les lavandes au cordeau, lourdes d’abeilles, les cyprès trop noirs, me mettaient mal à l’aise. La proximité de Max, aussi, qui voulait jouer comme un gosse. Sa peau trop blanche et le slibard collé à ses fesses maigres, ça me dégoûtait un peu.
Là où ça s’est gâté c’est quand il est sorti de l’eau et s’est mis à fureter à la porte et à soulever les pots de fleurs. Soudain il a sorti quelque chose d’une fente du mur et me l’a montré, avec son sourire en clavier de piano : la clé.
Évidemment, je l’ai suivi à l’intérieur, d’abord pour ne pas afficher ma trouille et aussi pour satisfaire l’envie que j’avais depuis longtemps de voir ce que ces rupins avaient fait de la ruine où les gamins du village venaient casser des restes de vitres et dessiner des pines au charbon de bois.
On est restés un moment dans le hall à goutter sur les tapis, frissonnants dans la fraîcheur des vieilles pierres, intimidés par le mobilier d’antiquaire qui ressemblait assez peu aux copies Conforama de chez nos vieux, mais très vite on a trouvé le frigo géant et sa réserve de bières, géante elle aussi. Apparemment, les maîtres des lieux ne goûtaient pas la bibine du petit Casino, et ils avaient pris leurs précautions. On a descendu deux Pilsner Urquell chacun, très vite, et tout de suite l’ambiance est montée d’un ton.
Max s’est mis à arpenter la cuisine en renversant les chaises, à vider les tiroirs par terre. Par besoin sans doute de faire sortir sa haine de mal aimé, ou peut-être ayant encore sur le cœur d’être rentré la bite sous le bras la veille au soir après avoir maté la petite blonde. J’avais peut-être gardé la tête plus froide, alors pour le calmer je lui ai proposé d’aller voir à quoi ressemblaient les étages. On a pris chacun deux canettes et on est montés.
En haut c’était toujours Louis-quelque-chose-provençal ultra authentique, fer forgé, noyer ciré, dessus de lit en boutis, on se serait cru dans un musée. Max est entré le premier dans la chambre des propriétaires, et il s’est mis à pousser des cris de chimpanzé en sautant sur le lit à baldaquin. Puis il a ouvert les tiroirs de la commode et a commencé à faire voler les fringues dans tous les sens.
— Eh, t’as vu ça, a-t-il bramé en brandissant tout un lot de dessous en dentelle noire et plumes de cygne. Il y en avait toute une collection, avec des trous là où on ne s’attendait pas à en trouver. Je dois dire que des trucs pareils j’en avais jamais vu moi non plus. Sans compter que tout ça n’était visiblement pas taillé pour une sylphide.
— Vise un peu la taille de ces nichons, s’est étranglé Max en mettant son poing dans un bonnet de soutien-gorge où il aurait pu fourrer sa tête.
Le tiroir suivant nous a laissés carrément sans voix, pauvres petits bouseux de la cambrousse qui n’avaient jamais rien vu. C’était le rayon cuir, chaînes et fouets, toute la panoplie.
— C’est pour quoi faire ces trucs ? Oh, merde, regarde ça !
Il a enfilé le machin autour de sa taille et s’est mis à se trémousser comme un gorille en le faisant gigoter sous mon nez. La bière que j’avais bue commençait à tourner à l’aigre. J’ai dit :
— Allez, ça suffira pour moi, je me tire.
C’est alors qu’on a entendu le bruit de moteur dans la ruelle, puis les claquements de deux portières. On est restés figés un moment, cherchant vaguement une issue, mais la Mercedes était sous la fenêtre, et en nous en slip. Max s’est mis à trembler, oubliant même son postiche. A ce moment-là j’ai tout revu : la pompe de la piscine qui tournait, le frigo plein, les volets à peine croisés.
Des voix ont résonné en bas, en allemand. Je me suis dit qu’on n’allait pas s’en tirer sans ennuis, avec nos fringues en vrac dans le jardin. J’ai même pensé à ma carte d’identité dans la poche arrière. J’ai descendu l’escalier, des excuses plein la bouche et la gorge dans un étau. Max est descendu derrière moi.
Le couple nous attendait en bas, version mâle et femelle du même modèle : poids-lourds athlétiques, bronzés, un peu gras, la cinquantaine au moins. Le type avait à la main une invraisemblable pétoire, un véritable canon portatif. Je me suis dit que j’allais mourir là, tout de suite. Tous les deux se sont mis à nous enguirlander dans leur langue qui m’a toujours semblée faite tout exprès pour ça. Le vieux m’a même envoyé une mornifle que je n’ai pas vu venir et qui m’a fait sonner les oreilles. Max bafouillait je ne sais pas quoi en hoquetant des sanglots de gosse.
Tout ce que je comprenais de leur discours, à part qu’ils n’étaient pas ravis de notre façon de faire le ménage, c’était le mot « Polizei », pour l’avoir entendu maintes fois dans des films où les Boches étaient les méchants, et je me voyais déjà, la bière et la mandale aidant, traverser le village en calcif entre deux types en manteau de cuir noir.
Et puis la femme a dit quelque chose à son mari, et les deux se sont esclaffés. Il m’a semblé que l’atmosphère avait changé. Elle a attrapé Max par une oreille et a continué à l’engueuler, mais sur un autre ton, presque caressant, avec quatre mots français par ci par là.
— Méchant garçon… Qu’est-ce que toi faire avec ça, hein ? Avec ton copain, hein ? Pas bien…
Et tout en parlant, elle se serrait contre lui, le prenait par la taille, lui mettait dans la figure son énorme poitrine. Max ne sanglotait plus, il avait l’air d’un pantin dont elle tirait les fils. Elle a pris sa main à lui et l’a fourrée dans son chemisier. Au même instant, le type a posé une patte tiède sur mon épaule. Je l’ai repoussé de toutes mes forces et je me suis mis à courir vers mes fringues, m’attendant à recevoir un obus de son canon entre les épaules mais il s’est contenté de me crier quelques mots que je n’ai pas compris. La porte du jardin était ouverte. En dix pas je me suis trouvé un coin de ruelle où j’ai pu me rhabiller.
J’ai passé le reste de la journée caché à guetter la sortie de Max, ou l’arrivée des gendarmes, je ne savais plus vraiment. Les gendarmes ne sont pas venus, mais vers le soir j’ai vu Max qui rentrait chez lui. Quand j’ai voulu lui parler il m’a repoussé sans un mot.
La maison est de nouveau vide, jusqu’à l’été prochain. Max y retourne de temps en temps, sans moi. Maintenant il a la clé.
Lectrice, et le genre a là son importance ,captivée par les souvenirs d’ ados et de garçons.
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J’ai partagé sur Facebook manière de voir s’il y a des échos…Petit groupe d’amis.HGalante
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Merci pour ce partage !
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vous signalez trainsurtrainghv sur votre blog. Merci de cette attention .c’est ce que de mon côté je ne sais pas ou ne peut faire . Quel est donc votre thème wordpress?
Je serai très honorée si vous commentiez https://trainsurtrainghv.wordpress.com/2018/07/03/odile-detruit-et-les-mots-1/ . selon l’idée du jeu que je propose Puis-je vous demander cela??
cordialement:
;Huguette Galante
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Je ne sais pas si vous avez vu mon petit texte. Je voulais vous demander si, au cas où je le mettrais sur mon propre blog, je pourrais avoir l’autorisation de mettre aussi les œuvres d’Odile Détruit.
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J’ai mis dans les widgets celui qui signale sur ma page les deniers articles que j’ai aimés.
Je serai très heureux d’ajouter un commentaire, si une idée me vient !
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