A peine une image, peut-être au trois quart fabriquée. Je me tiens dans le bureau du Père Supérieur du collège. Nous sommes en 1966, à Sidi-Bel-Abbès. Le père siège derrière son bureau, solennel, austère, comme sa soutane boutonnée jusqu’au menton. Il est peu probable que je sois assis, moi debout, donc, ne sachant que faire de mes mains. Le souvenir olfactif est assurément reconstruit, mélange de sacristie et de bureau de pion. Le père parle de la foi, de ceux qui l’ont et de ceux qui ne l’ont pas encore trouvée. Je garde le silence, laissant tomber sur moi la bonne parole. Le père m’aime sans doute à sa manière, je suis son meilleur élève, et c’est en un geste paternel qu’il m’étendra d’une gifle lorsque je ferai mine de me rengorger à la lecture du classement hebdomadaire – sa main encore vibrante rectifiera aussitôt le bulletin de notes.
Il est vrai que le vendredi soir, quand le même père dit la messe dans la chapelle du collège je reste seul sur les bancs des garçons quand le troupeau s’aligne pour la communion. Il y a encore au-dessus de moi cette grande ombre vague vers laquelle depuis l’enfance je me tourne dans la solitude mais je ne concède à personne l’autorité de se placer entre elle et moi.
Et puis il y a la confession. Glisser mes petites turpitudes dans l’oreille du prof de maths : très peu pour moi. Y aurait-il un gène huguenot ? Je ne peux plus aujourd’hui démêler quel était le but de ce discours, mais c’est de ce jour que commencera à se dissiper la grande ombre, dont l’envol laissera bientôt le ciel plus bleu mais tellement vide.