Je fouille encore dans la boîte en fer-blanc. Ce n’est pas la nostalgie qui m’y pousse, mais l’amnésie. Le futur, s’il existe, m’est caché et à chaque seconde, le présent s’anéantit. Il ne reste que le passé qui s’efface chaque jour davantage, comme une épreuve mal fixée. Ma mémoire me joue des tours. Elle efface des pans entiers de vie et fait d’une minute un film en technicolor. Aussi le regard que je porte sur ces vieilles images, y compris celles où j’apparais, est plutôt celui d’un archéologue. Je retourne des couches, j’époussète, j’essaie de donner un sens à des tessons.
Il existe plusieurs clichés de ce lieu, pris sous des angles différents. Ces quelques mètres carrés de cour, suspendus entre ciel et mer au-dessus du golfe de Calvi, restent encore pour moi un des centres du monde. J’en ai connu par cœur chaque recoin, chaque caillou. C’était alors une vaste contrée, avec ses territoires bien distincts, celui-ci dévolu aux poules, celui-là au chenil de Gary, le berger allemand ; il y avait des recoins, des cachettes, une épave d’automobile à escalader, et au bord le vertige. Aujourd’hui, je pourrais sans doute embrasser tous ces lieux d’un seul regard. L’espace s’étrécit, le temps se condense. Une année n’est plus qu’une poignée de semaines.
Il m’est arrivé de retourner sur les remparts de la citadelle. On y contemple sans doute un des plus beaux paysages du monde, la baie et au-delà, même en été parfois, le sommet enneigé du Monte Cinto. L’enfant que j’étais ne le regardait pas, trop grand, trop loin, privé de sens, mais l’amour des hauteurs et des vastes paysages m’est resté.